Des fibules et des maths

Les fibules amazighes fascinent autant par leur beauté que par les mystères scientifiques qu’elles renferment. Malgré une variété innombrable de formes, de tailles et de styles, elles gardent toujours une symétrie déconcertante et un usage triple : beauté, pratique, protection.

Portées depuis l’Antiquité, on en trouve des traces dans la civilisation romaine, elles servaient à fixer le vêtement, mais aussi à protéger celle qui les portait grâce à leurs symboles gravés, tout en révélant le statut social, la région ou la tribu.
Et pourtant, au-delà du bijou, se cache une structure mathématique aussi élégante qu’universelle.

La composition mathématique de la fibule

La composition même de la fibule est mathématique.
Chaque élément – cercle, triangle, pointe, chaînette – répond à une logique de proportion et d’équilibre.
Les artisans ne tracent pourtant pas avec des instruments modernes : tout se fait à l’œil, à la main, mais selon une géométrie instinctive, transmise depuis des siècles.

Les fibules obéissent souvent à des rapports simples :

  • Le rapport du cercle intérieur à la bordure extérieure ;

  • La distance entre les pointes dans une forme triangulaire ;

  • L’alignement central de la tige et de l’axe vertical ;

  • Les symétries bilatérales dans les motifs gravés.

La fibule devient ainsi une équation visuelle, traduisant un équilibre entre ordre et intuition, rappelant le mystère et logique du nombre d’or. On peut même analyser leurs motifs comme des matrices géométriques : chaque élément — triangles, cercles, arcs — se répète selon des patterns symétriques, comme une algèbre du design.

La géométrie amazighe

Le triangle : la stabilité

Le triangle est l’une des formes les plus anciennes et les plus répandues. Il symbolise souvent la féminité, la fécondité, la protection et la terre.
Les trois angles rappellent aussi les trois dimensions du monde : le ciel, la terre et l’humain.

Dans la logique géométrique, le triangle est la figure la plus stable.
En bijouterie, il sert de base pour fixer solidement le tissu.
En symbolique, il incarne la force tranquille, la solidité du foyer et la stabilité intérieure.

Le cercle : l’unité

Le cercle, qu’il soit plein ou ajouré, est omniprésent dans les fibules d’Afrique du Nord. On le retrouve beaucoup en Kabylie sous la forme du “Tabzimt”.
C’est une forme sans début ni fin, symbole de l’éternité, du soleil et du cycle de la vie.

Mathématiquement, il incarne la perfection absolue : toutes les distances depuis le centre sont égales.
Spirituellement, il évoque l’unité, le retour à soi, et la protection contre le désordre.

Certaines fibules circulaires étaient portées par paires reliées par une chaînette : deux cercles reliés, comme deux astres en dialogue, deux vies en équilibre.

L’ovale et la forme piriforme : le mouvement

Les fibules ovales ou piriformes (en forme de poire) sont fréquentes chez les Zayanes du Moyen Atlas. Elles adoucissent la rigueur du cercle : la forme s’étire, se déplace et introduit une notion de mouvement.

Sur le plan visuel, elles créent un dynamisme, donnant l’impression que la fibule respire. Dans la culture amazighe, cette forme est souvent associée à la fécondité et à la continuité de la vie, rappelant le sein qui nourrit et fait grandir.

Mathématiquement, l’ovale traduit la transition entre deux cercles, une ellipse naturelle, comme la course du soleil ou des planètes.

La fibule “Fekroun” : la tortue

La fibule en forme de tortue, appelée fekroun, est une merveille de symbolisme.
Sa carapace arrondie et symétrique rappelle la géométrie des dômes ou des coquilles naturelles.
Elle incarne la patience, la longévité et la protection, tout en représentant la Terre-mère.

Dans cette forme, la géométrie devient presque organique : les motifs gravés sur le dos rappellent les polygones imbriqués, comme si la nature elle-même dictait les lignes de l’artisan.

Le croissant : le cycle et la lumière

Certaines fibules, surtout en Tunisie et en Libye, adoptent une forme de croissant.
Elles évoquent la lune, le temps qui passe, et la lumière qui renaît.

Le croissant équilibre pleins et vides, ombres et éclats — une composition où la symétrie devient poésie et joue avec la cosmologie ou l’astrophysique.
Il rappelle aussi les arcs de cercle et les courbes d’un compas, symboles d’équilibre et de mesure.

Quand la géométrie devient mémoire

Chaque fibule amazighe est une géométrie en mouvement : elle relie la main de l’artisan, le regard de la porteuse et la mémoire du peuple. Ses formes se répètent avec une précision mathématique, comme si chaque région résolvait la même équation à sa manière.

C’est là toute la magie des fibules : une algèbre de la beauté, où chaque ligne, chaque courbe, chaque symétrie devient un langage vivant — celui d’une harmonie entre art, science et spiritualité.
Bien avant d’être calculées, les mathématiques y sont portées, vécues et transmises.

Quand je porte des fibules, ou que je les fais porter, je ressens un alignement immédiat, une symétrie rassurante, un apaisement profond et une reconnexion spirituelle avec nos ancêtres. Cela donne force et courage à l’héritière qui continuera à les porter avec dignité et fierté.

Et toi, as-tu déjà ressenti cela en portant ou observant des fibules amazighes ?